http://picasaweb.google.com/achordern/Birmanie2009?feat=directlink
Yangoon, ce sont des restes de la splendeur coloniale qui s'effritent lentement, les facades lépreuses d'humidité où l'on accroche le linge qui ne sèche jamais vraiment, les tas d'immondices abandonnés dans toutes les allees, les mendiants et les laissés pour compte de ce régime politique hideux qui, assis à meme le sol pour manger vous proposent quand meme de partager leur repas, les chiens placides qui le soir se réunissent en meutes hargneuses, les trottoirs si défoncés qu'un voyageur de ma guest house est passé a travers une plaque de béton, les bus surchargés où l'on se pousse pourtant pour vous faire une place...
La ville semble avoir été dévastée par un conflit ; abandon, négligence, pauvreté ; plus qu'ailleurs on sent que le gouvernement, milliardaire grâce aux diverses ressources (pétrole, bois, pierres précieuses à foison) laisse son peuple à l'abandon. Tandis qu'une minorité se pavane en 4x4 rutilants et descend dans des hôtels au luxe invraisemblable (pas de chambre a moins de 500 $ au légendaire hôtel Strand, cousin du Raffles de Singapour où le prix d'un sandwich correspond au salaire hebdomadaire d'un conducteur de trishaw), les habitants tentent tant bien que mal de s'en sortir, d'autant que tout est payant (école, soins médicaux...) et que les perspectives de changement ne semblent qu'un rêve destiné à bercer les inconscients
Pourtant, malgré la décrépitude, les enfants qui travaillent, la pollution et la saleté, les habitants de Yangoon gardent la meme gentillesse qu'ailleurs dans le pays, toujours affables et souriants, toujours curieux de savoir si vous aimez leur pays...
Je fais une dernière halte au marché où les touristes sont aussi rares qu'ailleurs, puis un tour a l'immense pagode Shwedagon; des dizaines de stupas et de pagodons d'or qui abritent des tas de bouddhas dans toutes les positions ainsi que des nats, ces divinités locale multiples qui portent chance aux voyageurs, a ceux qui souffrent des dents, a ceux qui vont passer des examens. J'apprends que je suis née le meme jour que bouddha et dois par conséquent payer mes respects à la divinité du vendredi... le cochon d'Inde. Je lui arrose donc la tète des tas de fois, puis donne un cours de français impromptu a un apprenti guide, et puis voici le temps de faire mes valises pour revenir vers Bangkok avant de m'envoler pour Paris.
Comme toujours, quand je dois finir un de ces voyages extraordinaires, je pense a l'Occident si différent, à la débauche de commerces et de richesse et l'abondance des rues illuminées et je me demande comment et pourquoi nous avons perdu l'habitude de sourire, si bien ancrée en Asie. Peut être que c'est le seul moyen de supporter la misère? En tous cas, je ne suis pas près d'oublier ce pays incroyable...
Le lac Inle est un petit coin de paradis; vaste etendue d'eau qui reflete sereinement les nuages et les collines qui le bordent, ils abrite toute une populuation de pêcheurs qui jettent de petits filets ou des nasses de bambou pour attraper les poissons que l'on mangera le soir, tout en ramant avec les pieds! Tout autour du lac, des villages lacustres, hautes maisons sur pilotis, ou l'on cultive des tas de légumes, surtout des tomates un peu pâlottes qui poussent sur d'étroites bandes de terre érigées entre les maisons et que les paysans récoltent dans des barques à fond plat.
On peut se promener sur le lac en bateau pour aller visiter les artisans locaux qui travaillent minutieusement l'argent, la soie, le lotus (trois semaines pour tisser une écharpe), ou fabriquent des cheerots, ces cigares locaux avec des filtres en fanes de mais qui sont colles a la colle de riz.
On peut aussi y faire de belles promenades au milieu des champs ou vers les monastères (y compris celui ou les moines ont appris a des chats à sauter a travers des cerceaux), et toujours au cours des promenades, on rencontre des Birmans et on est frappe de plein fouet par leur gentillesse renversante. Une promenade commencée le matin sous un soleil féroce se termine le soir sous une pluie de fin du monde. Le petit gué de quelques centimètres traverse a l'aller est devenu une rivière bouillonnante infranchissable pour les véhicules a moteur. Heureusement, les gens du coin nous aident à passer les vélos puis à traverser, de l'eau jusqu'aux cuisses, le plus vite possible pour éviter les débris et les troncs que le courant charrie a toute allure. Apres cette mémorable traversée, on rentre en chantant, trempes jusqu'aux os, crottes et infiniment heureux.
Et puis on peut aussi ne rien faire. Dans la guesthouse aux planchers de teck, il y a de moelleuses banquettes ou passer des heures a lire, rêvasser en regardant les geckos qui se poursuivent au plafond ou écouter les cochons voisins qui couinent un peu fort en se demandant si on va se faire masser le soir meme ou le lendemain. Dure vie!
Et puis hélas, vient la fin de cette étape tranquille. Le petite groupe de trekkeurs que nous avions forme, après avoir et maintes fois arrose notre rencontre, se sépare pour partir chacun vers un endroit différent. Je quitte les rues tranquilles de NyaungShwe en équilibre précaire a l'arrière d'une moto (sans casque, mais ce n'est pas plus mal ; les habitants de la région ont l'inexplicable habitude de porter des casques de moto qui reproduisent ceux de la deuxième guerre mondiale et de les orner de stickers en forme de croix gammée ou d'aigle allemand. Curieux pour des gens qui souffrent au quotidien d'une regime autoritaire).
Dernier voyage en bus, 17h plus 3 h d'attente pour rallier Yangoon. C'est long, surtout quand mon voisin est malade comme un chien et alterne les séances tète baissée dans son petit sac en plastique et la somnolence sur mon épaule, surtout quand la télé diffuse a plein tube un film très très long ou il y a beaucoup de larmes, des acteurs très mal habilles et bien sur un dénouement heureux. Surtout quand les quatre premières heures de route dans les montagnes se font sous une pluie diluviennes sur des pistes complètement défoncées qui ne méritent guère le nom de route et que les camions qui viennent en sens inverse sont si nombreux qu'il faut régulièrement s'arrêter complètement pour en laisser passer des processions... et surtout quand on voit dans la rivière grossie par les pluie qui longe la piste un bus tout a fait semblable au notre qui oscille contre un tronc d'arbres et n'a pas du tomber depuis bien longtemps, vu qu'il y a encore des curieux sur la rive. Gloups. Ne reste qu'a s'endormir tant bien que mal en espérant que le chauffeur n'aura pas la même idée, qu'un chien errant ne décidera pas de se jeter sous les roues, que l'on arrivera a bon port quoi...
De la plaine sèche de Bagan aux montagnes qui abritent Kalaw, il y a une douzaine d'heures de bus, assise sur des sièges inventés par un sadique (mais un autre passager qui connaissait bien l'Afrique m'a assure qu'on y trouvait bien pire).
Kalaw, petite bourgade d'altitude, abrite un curieux marché tournant où l'on vend des bassines en plastique venues de Chine, des longyis, de l'alcool distillé localement, et surtout, toutes les spécialités culinaires locales dont la composition est souvent bien difficile à deviner; il faut gouter pour savoir, parfois c'est savoureux, parfois infect.
Les ethnies locales reconnaissables à leurs différentes coiffures (parfois des serviettes éponges artistement nouées) s'y mêlent aux quelques Népalais et Sikh du Punjab, nés d'une émigration qui date de 3 ou 4 générations, et qui n'ont jamais pu retourner au pays; trop cher, trop compliqué, alors ils vivent un peu entre eux, parlant encore l'hindi ou le népalais et cuisinant le dahl aux lentilles et les chapatis.
De Kalaw, je pars avec quatre autres compagnons pour un trek de trois jours, qui nous mènera, à la dure, quelques soixantaines de kilomètres plus loin, au lac Inle.
Trois jours au milieu du peu de foret primaire qui n'ait pas encore été coupée ou brûlée, à l'assaut de collines où l'on patauge dans une boue gluante et glissante qui s'accroche aux chaussures, tout comme les infernales sangsues qui remontent le long des jambes.
On y croise des gens inlassablement occupés à cultiver les champs et les rizières et qui nous saluent joyeusement, des jeunes filles aux sourires étincelants juchées sur des buffles peureux (j'avais fait le pari d'en embrasser un, mais le seul que j'ai réussi à approcher un peu s'est sauvé au galop ;(
Les enfants et les femmes ont le visage jaune, enduit de tanaka ; écorce râpée d'un arbre local que l'on s'applique généreusement sur le visage et qui a des vertus cosmétiques et surtout sert d'écran total; les plus inspirés y dessinent des rayures à coup de brosse a dents, certains n'en mettent que sur les pommettes quand d'autres en appliquent une couche si épaisse que leur peau semble presque verte.
On fait un détour chez le Chaman local, encore en exercice après plus de soixante ans, qui nous fait gouter ses préparations a base d'herbes et d'écorces diverses. Certaines sont censées prévenir la malaria, d'autres assurent une bonne digestion, d'autres encore sont garantes de la bonne sante générale. On essaie des 'pastilles' a base d'opium et de marijuana qui devraient en principe garantir contre le mal de dos ; c'est un peu comme manger une boulette de terre roulée sous les aisselles, beurk, vite une tasse de the pour faire passer le gout. Et puis on repart gaiement, couverts de fleurs par ses petites filles.
Le premier soir, on dort chez l'habitant, sagement alignes sur des matelas peu épais; l'expédition la plus mémorable de la journée sera celle qui doit nous amener aux toilettes au fond du terrain (on y a va en groupe pour ramasser les infortunés qui s'étaleraient dans la boue, laquelle arrive parfois a mi mollet). Environ 15minutes pour faires l'aller retour, soit une bonne centaine de mètres, tongs aspirées par la boue et fou rires assures...
Le soir suivant, nous voici dans un monastère ou tous les trekkeurs se retrouvent a dormir en rang dans la salle des prières. Un peu avant le petit jour, nous voici réveilles par les prières des moines; des voix graves des plus vieux scandent des 'om'. tandis que des moinillons à la voix flutée se répondent en chantant et en essayant de résister à l'endormissement qui les guette avant la fin du couplet. C'est a la fois céleste et maladroit, mais ce qui est sur, c'est que l'on a bascule dans un autre monde!
Et puis la route continue, collines, rizières, cailloux, pluie, sourires, banyans, boue rouge, chants, baies amères et délicieuses cueillies en route, ponts en bambou précaires dont l'un d'eux cèdera sous le pas de celui qui marchait devant moi... Voila, il fallait hélas que cela finisse, nous voici a l'embarcadère. On embarque sur une longue barque a fond plat qui nous fait traverser le lac Inle pour aller a NyaungShwe, petit village tranquille au bord du lac pour la prochaine étape de farniente.